Accompagner les parents dans la diversification alimentaire de leur nourrisson
La diversification alimentaire est un temps d'apprentissage et de socialisation autant que d'éveil au goût. L'essentiel est d'offrir au nourrisson des expériences alimentaires positives, dans un environnement serein et adapté. La diversification peut être réalisée à la cuillère ou menée par l'enfant, en lui proposant de gros morceaux à manger seul. Une fois intégrées quelques règles de base, les parents laisseront libre cours à leurs envies, selon leur situation et leurs habitudes.
Mots clés : accompagnement, autonomie, diversification, diversification menée par l'enfant, observation
La diversification alimentaire est une étape importante dans le développement du nourrisson. Celui-ci découvre d'autres textures, températures, odeurs et saveurs ; il passe ainsi d'un temps alimentaire, se déroulant le plus souvent dans les bras, à un repas assis face à l'adulte ; il fait éventuellement connaissance avec un ustensile, la cuillère. Que de nouveautés… C'est donc une découverte progressive qui s'amorce, une adaptation physiologique et sensorielle, mais aussi culturelle et affective.
Pour les parents, cela peut représenter un moment de questionnements ou de confusion face aux nombreuses informations, parfois contradictoires, qu'ils reçoivent de toutes parts. L'infirmière puéricultrice, dans son accompagnement, veille à les considérer comme des experts de leur bébé, qu'ils connaissent mieux que quiconque. Toutefois, quelques lignes directrices peuvent leur être utiles . Ce sont des points de repère : les mots clés restent l'observation, l'adaptation et la confiance.
Quand débuter la diversification ?
Il est aujourd'hui communément admis par les sociétés savantes européennes [1] de maintenir une alimentation exclusivement lactée au moins pendant les quatre premiers mois de vie de l'enfant et d'introduire les premiers aliments solides au plus tard à six mois révolus, y compris pour les enfants à terrain allergique familial.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis plus de vingt ans un allaitement maternel exclusif jusqu'à 6 mois, puis sa poursuite jusqu'à 2 ans ou plus, en parallèle de la diversification alimentaire [2]. Il n'existe en effet aucun intérêt, nutritionnel [3] ou préventif [4] (que ce soit en matière d'allergie, surpoids et obésité, diabète, maladie cœliaque, croissance, infections, sommeil, habitudes alimentaires, etc.), d'introduire un autre aliment que le lait, a fortiori s'il est maternel, avant l'âge de 6 mois.
En 2020, le Haut Conseil de la santé publique, dans son avis relatif à la révision des repères alimentaires pour les enfants de 0 à 36 mois, renforçait le concept de "fenêtre d'introduction" idéale de 4-6 mois [5] pour les aliments solides.
Diversification "classique" ou menée par l'enfant
Dans le schéma "classique" de diversification, les aliments sont présentés en purée lisse à partir de 4 à 6 mois, à la cuillère, en évoluant au fil du temps vers des textures moulinées, écrasées, puis des petits morceaux. La fenêtre d'introduction des aliments texturés se situe entre 8 et 10 mois, et dans tous les cas, avant 12 mois [5].
Quelques cuillères suffisent les premiers jours. Il peut arriver que le nourrisson refuse la cuillère. La diversification est un processus d'apprentissage et d'adaptation : l'important est de continuer de lui proposer chaque jour, sans jamais le forcer, avec une cuillère adaptée à sa morphologie. Une pause de quelques jours est à envisager en cas de refus malgré les modifications proposées en termes de température, aliments et moments de la journée : l'enfant n'est probablement pas encore tout à fait prêt à manger solide.
La diversification menée par l'enfant (DME), également appelée diversification autonome, est une approche fondée sur la confiance, consistant à laisser le nourrisson manger par lui-même, dès 6 mois, de gros morceaux qu'il portera seul à sa bouche. Pour cela, son tonus doit être suffisant pour lui assurer une position assise stable tout au long du repas (même s'il n'a pas encore acquis la position assise au sol), lui permettant de mobiliser sa tête de tous côtés. Sa coordination œil-main-bouche doit être opérationnelle : il porte les objets à sa bouche et "vise juste" ; son mâchouillage (jouets, etc.) est vigoureux.
Cette approche nécessite que parents et professionnels de l'accueil du jeune enfant soient informés sur les présentations sécuritaires des aliments, ainsi que sur l'installation optimale (encadré 1).
Encadré 1 : Des morceaux en toute sécurité
Afin que l'alimentation en autonomie soit sécuritaire pour le nourrisson, il est important de respecter certains points.
Installation : l'enfant est assis bien droit, dans une chaise lui permettant de se mobiliser vers l'avant, équipée d'un repose-pied à hauteur adaptée, et éventuellement d'une tablette (sinon, elle est installée directement à la table familiale ou collective).
Présentation des aliments (pour les débutants) :
• des bâtonnets ou quartiers d'aliments plus longs que le poing de l'enfant, plus larges que l'index de l'adulte, ou bien des boulettes de la taille d'une balle de ping-pong, des fleurettes de chou-fleur ou brocolis… ;
• une texture fondante (comme un avocat bien mûr, une courgette cuite), pouvant s'écraser entre la langue et le palais ;
• une proposition des aliments en même temps, devant l'enfant, dans une assiette ou directement sur la tablette.
Ensuite, c'est à lui de jouer ! La surveillance est constante, et il est impératif de ne jamais mettre un morceau de nourriture directement dans la bouche de l'enfant.
S'il ne parvient pas à attraper un aliment, c'est que celui-ci n'est pas adapté, et qu'il ne saura pas le gérer en bouche, ou bien que l'enfant est fatigué ou distrait (mieux vaut alors mettre fin au repas autonome).
Les voies aériennes du nourrisson sont protégées par le réflexe nauséeux (gag reflex), qui se manifeste quand le morceau est trop dur, trop gros ou trop collant, ou qu'il est allé trop loin et trop vite, pour le faire revenir vers l'avant, et le recracher ou le mastiquer encore un peu. Ainsi, la diversification menée par l'enfant n'est pas associée à une majoration du risque de fausse route par rapport à une approche classique progressive [6].
Au début, la plupart des bébés mangent de petites quantités : il s'agit, là aussi, d'un apprentissage. La DME n'est pas associée à un apport insuffisant en fer ou en énergie par rapport à la diversification classique [6]. Lors du temps de repas, le jeune enfant éveille tous ses sens en explorant les textures, les saveurs, les odeurs, les couleurs, les températures, et les bruits liés aux divers aliments. Il développe également ses capacités motrices et de coordination en les portant à la bouche, découvre ses sensations de satiété, ses envies et ses besoins alimentaires. Quant aux parents, ils allouent moins de temps à la préparation des aliments, et partagent le moment du repas avec leur(s) enfant(s).
La diversification mixte consiste à employer simultanément les deux méthodes : purées données à la cuillère par le parent, et gros morceaux mangés en autonomie par l'enfant. C'est un choix qui peut être fait dès le début de la diversification, ou bien un peu plus tard, quelle que soit la méthode initialement adoptée.
En cas passage de la diversification classique à une diversification mixte ou autonome, le nourrisson sera considéré comme débutant avec les morceaux à manger seul, même s'il est plus âgé, afin de le laisser progresser à son rythme et en toute sécurité.
Les aliments à proposer
En dehors de quelques précautions à observer (encadré 2), les aliments ne nécessitent pas de respecter un ordre d'introduction ou un âge particulier. Tous les aliments peuvent être incorporés dès le début de la diversification [5]. La présentation, surtout en cas de DME, doit être correctement choisie.
• Les fruits et légumes (plutôt de saison, cultivés sans pesticides) sont proposés dans un premier temps nature, séparément, en privilégiant les cuissons douces à la vapeur. Lorsque l'enfant connaîtra ces saveurs, elles pourront être mélangées, agrémentées, pour en créer de nouvelles.
• Les féculents et légumineuses font partie intégrante de l'alimentation du jeune enfant. La quantité est à adapter selon son appétit.
• Les viandes, poissons et œufs sont introduits dès 6 mois, bien cuits, à raison de 10g par jour (soit deux cuillères à café), la première année. Si les parents s'orientent vers une alimentation végétarienne pour leur enfant, un suivi médical ou diététique est conseillé. Il sera par exemple nécessaire de commencer une supplémentation en vitamine B12 dès l'introduction des solides, et d'augmenter la part de céréales et légumineuses. L'alimentation végétalienne n'étant pas adaptée aux besoins nutritionnels des nourrissons, il est essentiel d'inviter les parents à en parler à un médecin (pédiatre ou nutritionniste) pour en comprendre les risques et les règles indispensables avant de faire leur choix.
• Les acides gras insaturés sont essentiels au développement cérébral du nourrisson. Ils sont présents dans l'huile végétale, mais aussi dans les purées de fruits à coque, de sésame ou d'arachide, les avocats, les poissons gras. Il est recommandé d'ajouter dès le début de la diversification une cuillère à café d'huile riche en oméga 3 après cuisson dans les préparations maison (purée, tartinade ou toute autre recette), ou commerciales qui n'en contiennent pas.
Encadré 2 : Âge d'introduction de certains aliments
Aucune famille d'aliment ne nécessite d'attendre un âge particulier avant son introduction, y compris les allergènes principaux (gluten, protéines de lait de vache, œuf, arachide, sésame, soja, moutarde, céleri, lupin, poissons, crustacés et mollusques, sulfites), qui sont à introduire dès le début de la diversification, comme tout autre aliment [5].
Toutefois, quelques précautions concernant le risque bactériologique ou parasitaire (Salmonella, Listeria, Escherichia coli, Clostridium botulinum…) sont nécessaires :
• le lait cru et les laitages au lait cru sont à éviter avant l'âge de 5 ans [10] et restent déconseillés jusqu'à 10 ans ;
• les viandes crues ou peu cuites, en particulier hachées, et les œufs crus (mayonnaise, mousse au chocolat…) ou insuffisamment cuits sont déconseillés avant 10 ans, et proposés systématiquement très cuits avant 3 ans ;
• les poissons crus ou fumés ainsi que les fruits de mer crus sont déconseillés avant 5 ans ;
• le miel est à proscrire jusqu'à 1 an.
D'autres dispositions sont à prendre concernant le format des aliments proposés :
• les aliments collants (mie de pain, brioche, feuilles de salade…), par exemple, sont à éviter jusqu'à la sortie de toutes les dents de lait. Les fruits ou légumes dont la peau se détache (pêche, nectarine, tomate cuite…) sont donc à proposer pelés ;
• es petits aliments durs et/ou ronds ne sont proposés entiers qu'à partir de 4 ans. Avant, ils sont introduits en poudre ou purée (noisette, amande, arachide…), ou coupés (tomates cerise, raisin…).
Enfin, le sel et le sucre sont à introduire le plus tard possible. Les produits salés ou sucrés (charcuterie, fritures, biscuits salés, boissons sucrées, gâteaux industriels, etc.) sont donc à éviter.Chez les enfants de moins de 3 ans, les édulcorants sont également à proscrire, et les produits à base de chocolat ou de soja sont à limiter [11].
L'un des principaux intérêts de la diversification est le développement du goût, mais aussi la socialisation par le partage de repas. Il est donc plus facile de commencer par les aliments que la famille a l'habitude de manger. Les parents constateront probablement que leur bébé préfère ceux que la mère consommait lorsqu'elle était enceinte et/ou allaitante [7]. Pour autant, il est important de lui faire découvrir un grand nombre de saveurs. Si l'enfant semble de pas aimer un aliment, il est intéressant de lui proposer plusieurs fois, éventuellement sous différentes formes ou recettes : il faut parfois jusqu'à dix reprises pour que l'aliment soit accepté. Par ailleurs, la multiplication des expériences sensorielles dans les premiers mois de diversification diminue le risque de néophobie alimentaire autour de 2 ans, et augmente le répertoire alimentaire à 6 ans [8].
La diversité des aliments apporte également vitamines et minéraux différents et complémentaires. En effet, les besoins (notamment ceux en fer et en zinc) augmentent à partir de 6 mois, et les apports ne sont plus entièrement couverts par l'allaitement. Le fer se trouve dans la viande et le poisson, mais aussi dans les légumineuses (lentilles, haricots secs, pois chiches...), les graines (courge, sésame, etc., préparées en "beurre" ou en tartinade par exemple) et les légumes verts (brocolis, épinards, choux, haricots…). Les aliments les plus riches en zinc sont les crustacés et le saumon, les œufs et la viande rouge, les amandes et noix de cajou, les graines et le son de blé (ou blé complet). Plusieurs études montrent que le nombre d'aliments introduits pendant la première année de vie est inversement corrélé au développement des maladies allergiques [9]. Autrement dit, plus les aliments consommés avant 12 mois sont variés, moins le risque allergique est important.
Organisation des repas
Les horaires et contenus des repas sont davantage régis par des habitudes sociales que par les besoins physiologiques du nourrisson, qui peut manger de tout, à toute heure. L'important est de privilégier le plaisir de découvrir et de manger, ainsi que la convivialité. Il est donc préférable d'écourter ou de reporter un repas lorsque le bébé est fatigué, malade ou distrait. N'oublions pas que l'enfant apprend par l'imitation : partager les temps de repas conviviaux (et sans écran !) permet de montrer l'exemple.
Le lait occupe une place importante dans l'alimentation du nourrisson. Au début, il est conseillé de proposer les repas de diversification entre les tétées (ou les biberons), lorsque l'enfant semble disposé à explorer. Les aliments solides ne remplacent donc pas le lait, mais le complètent. L'allaitement se poursuivra en parallèle, à la demande, aussi longtemps que désiré.
En diversification classique, il est de coutume de proposer au bébé un repas solide par jour les premiers mois, puis deux, et enfin trois, vers 1 an. Bien que leurs goûts et textures soient plutôt uniformes, les "petits pots" du commerce sont une alternative sûre en termes de qualité nutritionnelle et de sécurité. De quoi rassurer les parents, afin qu'ils se sentent libres de cuisiner ou non pour leur enfant.
En DME, c'est la multiplication des occasions qui permet au nourrisson de s'entraîner, de progresser et de s'alimenter. Passées les premières découvertes, il est possible, voire préférable, de lui présenter plusieurs repas solides par jour. Après avoir été goûtés natures, les aliments peuvent être proposés dans diverses recettes, plébiscitées par les tout-petits : boulettes, galettes, pancakes, flans, muffins, tartinades… Les aliments n'étant pas mixés avec un liquide, il est d'autant plus important de proposer de l'eau lors des repas, pour rincer la bouche et hydrater le bol alimentaire.
Conclusion
Les informations concernant la diversification alimentaire de l'enfant sont souvent nombreuses et variées, les recommandations évoluent régulièrement, les "méthodes" deviennent quelquefois dogmatiques… Cela peut parfois alourdir de façon importante la charge mentale des parents en cette période. Il est alors intéressant de revenir à des règles simples, permettant aux parents de faire appel à leur bon sens et de profiter de ce moment charnière dans l'alimentation de leur enfant, en toute sérénité. Le repas présente en effet un aspect social et convivial qu'il convient de ne pas oublier.
Dans le schéma "classique" de diversification, le passage aux aliments solides se situe entre 4 et 6 mois, avec une cuillère adaptée.
Citer :
Ledon E. Accompagner les parents dans la diversification alimentaire de leur nourrisson. Cahiers de la puéricultrice 2023 ; 365 : 27-31
Références
[1] Agostoni C., Desci T., Fewtrell M., et al. Complementary feeding: a commentary by the ESPGHAN Committee on Nutrition J Pediatr Gastroenterol Nutr 2008 ; 99-110 [cross-ref]
[2] Organisation mondiale de la santé (OMS). Stratégie mondiale pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant, avril 2002. https://apps.who.int/nutrition/topics/infantfeeding_recommendation/fr/index.html.
[3] Turck D., Dupont C., Vidailhet M., et al. Diversification alimentaire : évolution des concepts et recommandations Arch Pediatr 2015 ; 22 : 457-460[https://afpa.org/content/uploads/2017/07/cnsfp-editorial-diversification-alimentaire-archpediatr-2015-2.pdf]. [inter-ref]
[4] EFSA Panel on Nutrition., Novel Foods, Food Allergens (NDA), Castenmiller J., et al. Appropriate age range for introduction of complementary feeding into an infant's diet EFSA Journal 2019 ; 17 (9) : e05780[https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2019.5780]
[5] Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Avis relatif à la révision des repères alimentaires pour les enfants âgés de 0-36 mois et 3-17 ans, 2020. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspa20200630_rvisidesreprealimepourlesenfan.pdf.
[6] Brown A., Jones S.W., Rowan H. Baby-Led Weaning: the evidence to date Curr Nutr Rep 2017 ; 6 (2) : 148-156 [cross-ref
[7] Mennella J.A., Jagnow C.P., Beauchamp G.K. Prenatal and postnatal flavor learning by human infants Pediatrics 2001 ; 107 (6) : E88
[8] Maier-Nöth A., Schaal B., Leathwood P., et al. The Lasting Influences of Early Food-Related Variety Experience: A Longitudinal Study of Vegetable Acceptance from 5 Months to 6 Years in Two Populations PLoS One 2016 ; 11 (3) : e0151356.
[9] Roduit C., Frei R., Depner M., et al. Increased food diversity in the first year of life is inversely associated with allergic diseases J Allergy Clin Immunol 2014 ; 133 : 1056-1064 [inter-ref]
[10] Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Consommation de fromages à base de lait cru : rappel des précautions à prendre. 2020. https://agriculture.gouv.fr/consommation-de-fromages-base-de-lait-cru-rappel-des-precautions-prendre.
[11] Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Avis relatif à l'actualisation des repères alimentaires du PNNS pour les enfants de 0 à 3 ans. 2019. https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2017SA0145.pdf.