Allaiter sans avoir jamais porté : petite histoire de la lactation induite
Allaiter sans avoir jamais été enceinte, en voilà une idée ! Et pourtant, c'est possible. L'induction de cette lactation est facilitée par la prise puis par l'arrêt brutal d'estroprogestatifs, combinée ou non à des galactogènes, mais c'est la stimulation rapprochée des seins qui en est le levier essentiel. Ce procédé peut être éprouvant, c'est pourquoi l'accompagnement bienveillant et individualisé des familles ayant ce projet par une puéricultrice ou une consultante en lactation est intéressant.
Mots clés : adoption, allaitement partagé, GPA, homoparentalité, lactation induite, assistance médicale à la procréation, transparentalité
Article lauréat du Trophée de la puéricultrice 2025,
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L'induction de la lactation est un processus d'accompagnement, avec appui médicamenteux ou non, dont l'objectif est l'instauration d'une production lactée chez une personne n'ayant jamais eu de grossesse. La lactation nécessite une glande mammaire – présente chez tous les individus, à des stades plus ou moins développés – ainsi qu'un axe hypothalamo-hypophysaire fonctionnel, dans un environnement hormonal adéquat. Cela concerne, le plus souvent, les mères adoptantes, les mères sociales d'un couple de femmes, ou encore celles ayant recours à la gestation pour autrui. Plus rarement, il s'agit de femmes de l'entourage d'un nourrisson dans le cas d'une catastrophe naturelle. Quelques cas sont également rapportés d'un parent transgenre ou non binaire.
Anatomie et physiologie du sein lactant
Afin de cerner les enjeux d'une lactation induite en l'absence de grossesse, il convient de rappeler quelques éléments d'anatomie et de physiologie.
Stades de développement de la glande mammaire
C'est parce que le tissu mammaire est déjà en place au stade embryonnaire que du colostrum peut s'écouler du mamelon du nouveau-né, masculin comme féminin, sous l'effet de l'imprégnation hormonale maternelle. La glande mammaire reste ensuite en latence jusqu'à la puberté où, sous le coup des hormones sexuelles féminines, les canaux galactophores se développent. En parallèle, les seins gagnent en tissu adipeux, ce qui leur confère l'augmentation de volume. Les tissus conjonctif et vasculaire croissent également [1].
Au cours de la grossesse, le tissu glandulaire poursuit sa maturation. Alvéoles et canaux se développent et se multiplient, ainsi que les récepteurs à prolactine. Le sein termine sa maturation au cours de la première lactation.
Le sevrage induit une mort cellulaire progressive. L'involution n'est pas totale, c'est-à-dire que la glande mammaire ne reprend pas tout à fait le stade préconceptionnel. Des cellules agissant comme cellules mémoires persistent, ce qui facilite les lactations ultérieures, ainsi que les relactations1 .
Stades de la lactation
La synthèse du lait par la glande mammaire débute au cours de la grossesse sous l'influence de nombreuses hormones (l'hormone lactogène placentaire et la prolactine notamment, sous contrôle inhibiteur de la progestérone puis des estrogènes). C'est la lactogenèse I.
La lactogenèse II débute après l'accouchement, lors de la chute des taux de progestérone et d'estrogènes, en présence de fortes concentrations de prolactine. La "montée de lait" (aussi appelée activation sécrétoire) survient entre la 30e et la 40e heure après l'accouchement. C'est la phase la plus délicate de la lactation. La sécrétion lactée se modifie (notamment diminution du taux de sodium et de protéines, augmentation de la concentration de lipides et de glucides), puis augmente en volume. Plus l'extraction du lait intervient rapidement de façon efficace et fréquente, plus la lactation peut s'établir avec succès.
Au cours des six semaines suivantes, la production se calibre à la quantité consommée par l'enfant (ou les enfants) ou exprimée par la mère (manuellement ou par l'utilisation d'un tire-lait). C'est donc la demande qui régule à la hausse ou à la baisse le volume de lait produit.
La lactation continue aussi longtemps que cette demande se poursuit. Le sevrage est la période où la production diminue en volume, sans modification de la qualité du lait.
Encadré 1 - Soutenir la lactation des personnes trans et non binaires
La lactation ne concerne pas uniquement les femmes cisgenres, ni même les personnes assignées femmes à la naissance. Si le climat hormonal féminin – et a fortiori celui d'une grossesse – est favorable, des organes génitaux féminins fonctionnels ne sont pas requis pour la seule production de lait. Ainsi, l'induction de la lactation peut se faire chez une femme cisgenre n'ayant ni utérus ni ovaires (quelle qu'en soit la raison), mais aussi chez une femme transgenre (assignée homme à la naissance, porteuse ou non d'organes génitaux masculins).
La seule différence entre une femme cisgenre et une femme transgenre dans l'induction de leur lactation (en dehors d'une grossesse, donc) est la nécessité d'un bloqueur androgénique chez ces dernières [2]. Généralement, il s'agit d'un traitement quotidien de 100 mg de spironolactone. Le passage lacté étant très faible (l'enfant reçoit 1 % de la dose maternelle), celui-ci est tout à fait compatible avec l'allaitement [3]. La prise d'estrogènes, soit au début du protocole d'induction, soit en amont au cours de la transition, permet à la glande mammaire de se développer.
La lactation est également possible chez les hommes trans. En revanche, l'arrêt des androgènes est nécessaire, car ceux-ci diminuent les taux sériques de prolactine. En l'absence de grossesse (pour cette lactation ou précédemment), une prise d'estroprogestatifs peut faciliter la production de lait, mais accroître la dysphorie de genre. Lorsqu'une chirurgie de masculinisation de la poitrine a déjà eu lieu, l'allaitement "sur le torse" (chestfeeding) peut être aidé par l'utilisation d'un dispositif d'aide à la lactation (DAL), associé si nécessaire à un protège-mamelon en silicone [4].
Afin de soutenir au mieux toutes les familles dans leur projet d'allaitement, quel qu'il soit et quelle que soit la composition familiale, il convient de s'informer (voire de se former) en amont sur les particularités de l'accompagnement des personnes queer. Un des principaux points de difficulté est l'accès aux soins, en lien avec les discriminations et refus de soins. L'inclusivité est d'ailleurs souvent à l'épreuve aussi dans les écrits professionnels [5]. Enfin, la communication directe avec le personnel soignant, qui peut, intentionnellement ou non, les mégenrer (utiliser les mauvais pronoms, noms, etc.) représente une fréquente source de stress, de dysphorie de genre. Par quels pronoms s'adresser à cette personne ? Ce parent souhaite-t-il être nommé "papa", "maman", ou autrement ? Le meilleur moyen de ne pas se tromper est encore de demander.
Aides médicamenteuses à l'induction de la lactation
En l'absence de pathologie endocrinienne, la grossesse et l'accouchement représentent donc naturellement l'environnement hormonal adéquat, favorable à l'installation d'une production lactée. Leur absence (ou l'accouchement prématuré) a, au regard de cette physiologie, un impact sur la maturation de la glande mammaire et, par effet ricochet, peut impacter la quantité de lait produite. Toutefois, l'installation d'une lactation reste possible, avec ou sans aide médicamenteuse. En effet, le plus puissant levier de production de lait est le drainage du sein.
Pour autant, le contexte hormonal de la grossesse et de l'accouchement peut être mimé par la prise par voie orale d'une combinaison d'estrogènes et de progestérone arrêtés net.
Une pilule contraceptive pour mimer hormonalement la grossesse
Ainsi, le Dr Jack Newman, pédiatre américain, en collaboration avec une de ses patientes, Lenore Goldfarb, a mis au point trois protocoles de soutien à l'induction de la lactation [6], basés sur la prise de 1 à 2 mg de progestérone et moins de 0,035 mg d'estrogène en continu, pour une durée variable. Le praticien accompagnant la personne souhaitant induire sa lactation proposera donc, selon la situation (temps disponible avant l'arrivée prévue de l'enfant et fonction ovarienne), le protocole "standard", "accéléré" ou "ménopause" (Figure 1). Il est à noter que ces protocoles n'ont pas fait l'objet d'études randomisées et sont le fruit du travail empirique de ce pédiatre renommé.
Une pilule contraceptive, monophasique estroprogestative de 4e génération, et présente actuellement sur le marché français, répond aux taux indiqués par Newman. Le protocole standard propose sa prise pendant six mois [7], en précisant que « the longer the better, if the mother can start as soon as she knows a baby is on the way it would be great » ("plus c'est long, mieux c'est, si la mère peut commencer dès qu'elle sait qu'un bébé est en route, ce serait formidable" – [traduction Estelle Ledon, ndlr]). Le protocole ménopause, à destination des femmes sous traitement hormonal substitutif, propose de remplacer celui-ci par la pilule combinée, tandis que le protocole accéléré adapte la durée de sa prise au temps disponible avant l'arrivée du bébé.
Parallèlement à cette pilule combinée, Newman et Goldfarb conseillent la prise d'un antagoniste de la dopamine, la dompéridone, en débutant à la posologie de 10 mg, quatre fois par jour pendant une semaine, puis en l'augmentant à 20 mg à la même fréquence journalière. Le traitement est ensuite poursuivi jusqu'à l'établissement d'une lactation suffisante, après la naissance de l'enfant et le début des expressions ou mises au sein, puis diminué progressivement et ce, sur plusieurs semaines.

La place de la dompéridone en question
Le principe d'action de la dompéridone est également lié au climat hormonal : la dopamine joue un rôle inhibiteur de la sécrétion de prolactine (selon un système de rétrocontrôle négatif) [8]. Lorsque le taux de dopamine diminue, la sécrétion de prolactine augmente. L'efficacité de la dompéridone pour augmenter le volume de sécrétion lactée en post-partum (augmentation de 74% en moyenne par rapport à un placebo, avec une très bonne sensibilité [9]) a été démontrée dans des situations variées, comme la prématurité, les césariennes, un "mauvais départ", etc. [10, 11]. Dans la plupart des cas, la posologie testée était de 30 mg par jour. Des posologies supérieures à 60 mg par jour n'ont pas été étudiées [8].
Cet antiémétique, ainsi détourné de son autorisation de mise sur le marché, est soumis à controverse. Des effets indésirables cardiaques graves à type de trouble du rythme (allongement de l'intervalle QT, torsades de pointe, arythmie ventriculaire) ont été rapportés, dans une population masculine de plus de 60 ans ou chez des personnes ayant des antécédents cardiaques, à posologie supérieure à 30 mg par jour. Au terme de nombreuses études sur la question, le professeur en pharmacie australien Luke Grzeskowiak suggère de mettre en balance ce surrisque avec les bénéfices démontrés de l'allaitement maternel (tant pour la mère que pour l'enfant), et estime les études de cohortes rassurantes chez cette population [12]. Un autre effet indésirable possible de la dompéridone est le syndrome de sevrage (insomnie, agitation, anxiété et troubles de l'humeur) lors de l'arrêt brutal, et ce d'autant plus que la posologie était élevée et le traitement long [13]. En cas de symptôme de ce type, il est conseillé une reprise du traitement, puis une décroissance très progressive par paliers [14].
Au regard des risques d'effets secondaires, les recommandations françaises en termes de prescription de dompéridone sont d'un maximum de 30 mg par jour, idéalement sur une durée maximale de sept jours [15, 16]. Il convient donc, avant toute prescription de dompéridone pour induire ou augmenter la production lactée, y compris chez une femme jeune, de réaliser un interrogatoire rigoureux, d'informer par écrit la patiente des risques encourus et de mettre en place une surveillance régulière de l'électrocardiogramme (ECG) tout au long du traitement. Un accompagnement au sevrage progressif doit également être prévu [17].
Côté bébé, la quantité de dompéridone ingérée via le lait est très faible (moins de 0,1% de la dose maternelle), et aucun événement particulier n'a été signalé chez les très nombreux nourrissons concernés [18].
Soutien non médicamenteux
Pour mimer l'accouchement, la pilule estroprogestative est arrêtée net et les stimulations des seins débutent : massages, expression manuelle, sessions au tire-lait. Pour Newman, cette mise en route devrait intervenir environ six semaines avant la date prévue d'arrivée du bébé. Il conseille également, dès l'obtention de lait, la prise de plantes réputées galactogènes. Il est à préciser que celles-ci n'ont pas d'efficacité prouvée (l'effet placebo pouvant être la raison de l'impression répandue de leur efficacité) ni de données scientifiques prouvant leur innocuité [19]. Il reste rassurant que ces plantes soient pour la plupart utilisées depuis des siècles sans danger apparent. La prudence dans l'utilisation des préparations à base de plantes est néanmoins recommandée, en raison de doses non standardisées, de possible présence de contaminants, de leur potentiel allergisant et des éventuelles interactions médicamenteuses [8].
Importance du drainage des seins
Quel que soit le contexte, avec ou sans soutien médicamenteux, le principal moteur de l'établissement d'une lactation est le drainage fréquent des seins. Dans le cas de l'induction d'une lactation, il est recommandé de débuter par une séance de tire-lait électrique double pompage toutes les trois heures, y compris la nuit. Le repère de "huit sessions par 24 heures dont au moins une la nuit" est moins rigide ou stressant pour, finalement, un compte similaire. Certaines sessions peuvent ainsi être rapprochées, d'autres plus espacées, en tentant de ne pas dépasser quatre heures sans drainage des seins.
Les programmes préétablis d'initiation de la lactation sur certains modèles de tire-lait dernière génération sont très intéressants. La séquence d'expression décrite par Jane Morton [20], combinant massages, tire-lait et expression manuelle dans le but d'augmenter la production lactée en cas de prématurité fait également tout à fait sens dans le cadre d'une lactation induite. D'une manière globale, les conseils habituels à destination des mères allaitantes dépendantes d'un tire-lait [21] sont aussi parfaitement adaptés à l'accompagnement de celles souhaitant induire une lactation, et sont ainsi à transmettre.
Lorsque le bébé est là, et dès la salle de naissance le cas échéant, les tétées au sein peuvent débuter. Elles seront le plus fréquentes possible, à la demande, et on veillera à leur efficacité. En parallèle, tant que la production n'est pas stabilisée à un volume correspondant au projet parental, mieux vaut compléter chaque tétée par une courte session de tire-lait. Newman conseille de poursuivre la dompéridone jusqu'à l'établissement d'une production suffisante – ou que la mère soit prête à sevrer son bébé du sein. L'arrêt doit être progressif, tant pour le risque de sevrage que celui de diminution du volume de lait produit.
Accompagnement et soutien
La base de l'accompagnement des familles par la puéricultrice est l'individualisation, et le soutien d'une induction de lactation ne déroge pas. Il est essentiel de toujours partir du projet parental et non de ce qu'on projette être "bon", "correct" ou "idéal" pour cette famille. La première étape consiste donc à définir, ensemble, le contexte (durée avant l'arrivée de l'enfant et éventuelle notion d'urgence, soutien de l'entourage, allaitement unique ou partagé avec le coparent, etc.) et les objectifs (allaitement total, partiel ou dans un but prioritairement relationnel, par exemple).
L'information claire, honnête et loyale des parents dès le début du projet de lactation induite est primordiale. Cela requiert en effet un investissement fort, en temps et en énergie, pour un résultat qui ne peut être garanti, mais qui apporte dans la majorité des cas une grande satisfaction. La puéricultrice, ou consultante en lactation, représente un véritable atout dans ce processus. Elle informe en amont sur les modalités pratiques de la stimulation de la lactation, accompagne dans le choix du matériel d'expression du lait, encourage lors des premières gouttes de lait recueillies, rassure dans les moments de doute, soutient lors des instants difficiles. Elle peut proposer des aides matérielles spécifiques, comme le dispositif d'aide à la lactation (DAL), qui permet, via une fine sonde, de compléter la ration de lait bue par l'enfant au cours d'une tétée au sein. Elle peut aussi expliquer à quel point la proximité avec l'enfant est essentielle. Le contact peau à peau stimule la sécrétion d'ocytocine, favorisant l'éjection du lait. Il permet également une réaction plus rapide et ajustée aux signaux du bébé, et des tétées généralement plus nombreuses, dans un climat détendu et propice.
Le médecin prescripteur se doit aussi d'informer sur la balance bénéfices/risques pour les traitements médicamenteux, le choix définitif revenant toujours à la famille.
Dans le cas d'un couple où la mère enceinte souhaite allaiter également (notamment avec un projet d'allaitement de plus de quelques jours ou semaines), il est important de soutenir, voire prioriser, la mise en place de sa lactation dans les premiers temps du post-partum. La puéricultrice peut alors lui conseiller de proposer davantage de tétées au sein que sa partenaire dans un premier temps, en veillant à compenser les tétées non données par de l'expression du lait, quelle qu'en soit la méthode.
Une fois la ou les lactations établies, chaque famille trouvera son organisation et sa "répartition" (encadré 2).
Conclusion
La lactation induite en dehors d'un contexte de grossesse est une possibilité peu connue des professionnels de périnatalité. Avec l'accès à la procréation médicalement assistée pour « tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes » [22], il est probable que de plus en plus de projets d'allaitement sans gestation voient le jour en France. L'information des professionnels est donc essentielle. Une collaboration étroite entre médecin prescripteur et puéricultrice est un atout non négligeable dans l'accompagnement de ces familles, dont le projet est à chaque fois unique. Ainsi, si le soutien non médicamenteux de l'induction de la lactation est inévitable, les moyens médicamenteux sont à ajuster et à laisser, après information éclairée, au choix des personnes concernées.
Encadré 2 - Une maternité partagée jusque dans l'allaitement
Élodie et Anne-Charlotte sont mariées et mamans d'Alice, 10 mois. Ensemble, elles ont souhaité allaiter. « Je voulais avoir un rôle privilégié avec Alice, me sentir légitime dans mon rôle de maman. L'allaitement, c'était pour moi une façon de me sentir mère dans mon corps, avec mon corps, même sans avoir porté notre bébé dans mon ventre », témoigne Anne-Charlotte.
Une fois l'idée germée dans leur esprit, elles ont éprouvé quelques difficultés à trouver des professionnels de santé à même de les accompagner dans ce projet "hors normes". Bien que soutenantes, leurs médecins (généraliste, gynécologue-obstétricienne) et sage-femme ne se sentaient pas suffisamment armées pour cela. Elles sont arrivées à moi alors qu'Élodie était enceinte de 5 mois. Le temps commençait à "presser" pour qu'Anne-Charlotte soit prête à la naissance. La pression était relative, car Alice pourrait être nourrie exclusivement par Élodie le temps nécessaire à l'établissement de la lactation d'Anne-Charlotte. Elle se souvient : « J'ai voulu accompagner Anne-Charlotte dans son projet d'allaitement induit car je voulais tout partager avec elle, en tant que futures mamans, en tant que futures allaitantes, ensemble. J'avais envie que l'on partage cette expérience complètement nouvelle toutes les deux. Je me suis dit qu'on pourrait se comprendre encore plus, encore mieux, en partageant les mêmes choses. Et puis, je trouvais ça vraiment "cool" qu'elle puisse le faire, pour notre bébé, qu'elle tisse ce lien avec elle, tout comme moi. »
Nous sommes convenues très rapidement d'une première consultation conjointe avec la médecin généraliste exerçant dans la même maison de soins, à l'issue de laquelle nous nous sommes lancées toutes les quatre dans l'aventure.
Anne-Charlotte a suivi un traitement par pilule combinée et dompéridone (30 mg par jour) pendant trois mois, avec un suivi ECG toutes les deux semaines. Rapidement, elle nous a témoigné de l'augmentation importante du volume de ses seins et de l'écoulement de colostrum. Deux semaines avant le terme présumé d'Élodie, Anne-Charlotte a stoppé net la pilule et commencé les sessions d'expression au tire-lait électrique double-pompage, soutenue par sa compagne. Ravies et enthousiastes, elles nous ont tenues informées de l'évolution des recueils de lait, puis de la naissance d'Alice.
À la maternité, leur projet a soulevé encouragements, curiosité bienveillante, questionnements pratiques mais aussi réticences et conseils inadaptés. Anne-Charlotte a proposé le sein à Alice, lui permettant de « tisser cette relation, ce lien si particulier dès les premières heures de vie », sous le tendre regard d'Élodie. Pour bien démarrer leurs deux lactations, Elodie tirait son lait quand Anne-Charlotte donnait la tétée, et inversement. Avec quatre seins à disposition pour elle toute seule, Alice a perdu seulement 4 % de son poids de naissance, qu'elle a dépassé à 7 jours.
Une visite à domicile en sortie de maternité m'a permis de répondre aux nombreuses questions que peuvent se poser deux jeunes mamans, et de faire le point sur la mise en route de leur allaitement. « Cela va au-delà de mes espérances ! », me confiait alors Anne-Charlotte. « Cela me permet d'avoir un vrai lien avec Alice et de soulager Élodie aussi, surtout la nuit ou quand elle n'est pas très motivée pour une tétée. »Anne-Charlotte est restée auprès de sa compagne et de leur fille pendant deux semaines, puis elle a repris le travail, tout en continuant de tirer son lait et de donner quelques tétées. L'arrêt de la dompéridone, couplé à la reprise du travail, a fait chuter sa lactation. Elle a donc repris à dose modérée, fait du peau à peau avec sa fille et multiplié les tétées. Ainsi, elle a poursuivi cet allaitement pendant deux mois, prenant le relais d'Élodie pour lui accorder « des moments de répit » et « profiter de moments uniques » avec leur fille.
Pour Élodie, « cette expérience a renforcé notre amour, notre histoire. On s'est comprises et on se comprend encore plus. Je pense que pour deux femmes, dont une qui ne porte pas, cette expérience peut aider et permettre de souder et tisser quelque chose d'unique ».
Accueillie en crèche pendant que ses mamans sont au travail, Alice est toujours allaitée par "Maman élo" et cela a l'air parti pour durer !
Citer :
Ledon E. Allaiter sans avoir jamais porté : petite histoire de la lactation induite. Cahiers de la puéricultrice 2024 ; 380 : 31-36
Références
[1] Inman J.L., Robertson C., Mott J.D., Bissell M.J. Mammary gland development: cell fate specification, stem cells and the microenvironment Development 2015 ; 142 (6) : 1028-1042
[2] Reisman T., Goldstein Z. Case report: induced lactation in a transgender woman Transgend Health 2018 ; 3 (1) : 24-26
[3] Centre de référence sur les agents tératogènes, Hôpital Armand-Trousseau Paris. Spironolactone – Allaitement. 23 février 2023. 11556/.
[4] MacDonald T.K. Lactation care for transgender and non-binary patients: empowering clients and avoiding aversives J Hum Lact 2019 ; 35 (2) : 223-226
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[16] Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé. La dompéridone (Motilium et génériques) ne doit plus être utilisée chez l'enfant de moins de 12 ans. 28 juin 2019. la-domperidone-motilium-et-generiques-ne-doit-plus-etre-utilisee-chez-lenfant-de-moins-de-12-ans.
[17] Information pour l'allaitement (IPA). Prescription de dompéridone dans le cadre de l'allaitement : quels bénéfices et quels risques en 2023 ? 7 novembre 2023. prescription-de-domperidone-dans-le-cadre-de-lallaitement-quels-benefices-et-quels-risques-en-2023/.
[18] Centre de référence sur les agents tératogènes, Hôpital Armand-Trousseau, Paris. Dompéridone –Allaitement. 8 juillet 2021. 3450/.
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