Ces idées reçues qui empoisonnent l’allaitement

08/10/2025

L'allaitement maternel est une cible privilégiée de désinformation et de propagation d'idées reçues, auprès des parents comme des professionnelles de la santé ou de l'enfance. En s'appuyant sur des données scientifiques, ces représentations autour de la conduite de l'allaitement, la santé de l'enfant et de la mère ainsi que l'impact de l'allaitement sur la vie quotidienne et sociale sont déconstruites. L'importance d'un accompagnement respectueux du choix libre et éclairé des parents est mise en avant à travers une vision sociale et féministe de l'allaitement.

Mots clés : allaitement maternel, idée reçue, information éclairée, manque de lait, représentation, rythme du nourrisson, sevrage


L'allaitement maternel est, pour la majorité des parents, une grande aventure. Dans la jungle des informations – recherchées ou reçues de l'entourage – et des conseils variés, souvent non sollicités, les idées reçues ont la vie dure. Les professionnelles 1 ne sont pas en reste, véhiculant encore régulièrement des connaissances obsolètes, infondées, déformées ou constituées de préjugés, ponctuées de représentations et projections personnelles. Car, lorsqu'il est question d'allaitement, l'affectif ne se cache pas bien loin, tant du côté des parents que des personnes les accompagnant. Comme si ce sujet, si sensible, faisait tomber les barrières de la posture professionnelle pour passer du côté de l'échange entre pairs, à peine camouflé derrière la blouse et des formules bateau.

Florilège 2 d'une consultante en lactation.

Autour de la conduite de l'allaitement

Outre une installation adéquate de la mère 3 et de l'enfant, la base d'un allaitement réussi (entendre par là efficace et confortable, de la durée projetée par les parents) est une conduite optimale d'allaitement dès les premiers instants.

Le lait gras de fin de tétée

Il est particulièrement courant d'entendre une mère allaitante affirmer "On m'a dit qu'il fallait rester au moins vingt minutes sur un sein, pour que mon bébé ait bien le lait gras de fin de tétée", ou, dans sa variante, "Je ne donne qu'un sein à chaque tétée, pour être sûre que mon bébé ait bien le lait gras".

Les lobules de graisse adhèrent en effet aux parois des alvéoles de la glande mammaire (comme ils adhèrent aux parois des flacons de recueil d'ailleurs, d'où l'importance de tiédir les parois et remuer ceux-ci avant transvasement). Cela est d'autant plus vrai que l'alvéole est tendue (remplie). Ainsi, la concentration en graisse du lait augmente à mesure que l'alvéole se vide [1]. Toutefois, toutes les alvéoles ne se remplissent et ne se vident pas en même temps : tandis que certaines sont bien pleines, d'autres ne sont qu'à la moitié de leur capacité. De plus, une tétée peut commencer sur un sein "moins plein" qu'une autre auparavant ne s'est terminée.

Il est important de distinguer la notion de concentration en graisse du lait de celle de quantité de graisse ingérée par l'enfant. En effet, tant que celui-ci a un accès au sein à volonté et que la quantité de lait disponible est suffisante, alors il tète autant que nécessaire pour avoir tous les nutriments dont il a besoin, acides gras y compris. Ainsi, certains bébés de mères ayant une concentration en graisse plus faible peuvent boire de plus grandes quantités, et inversement (ce ne sont pas les seuls paramètres influant la ration quotidienne de lait).

Enfin, il est toujours plus intéressant sur le plan nutritionnel pour l'enfant de boire une plus grande quantité de lait moins concentrée en graisse, qu'une plus petite quantité plus concentrée. Or, rester sur un sein bien drainé, dont le débit est faible, en espérant que l'enfant reçoive du lait gras revient à limiter la quantité de lait disponible pour lui (et, in fine, la quantité totale de graisse ingérée sur la tétée). Chez les nouveau-nés, cela peut même nuire à la mise en place de la lactation (en limitant le drainage des seins) et à sa prise de poids (en lui demandant plus d'énergie pour téter une plus petite ration).

En résumé, et d'autant plus durant les premières semaines de l'allaitement, il est intéressant de proposer le deuxième sein dès que l'enfant ne déglutit plus de manière rythmée, s'agace et s'agite au sein ou au contraire s'endort.

De fait, la stimulation la plus efficace pour un tout-petit qui s'endort trop tôt au sein est d'augmenter le débit de lait, soit par la compression du sein, soit en proposant l'autre. Découvrir l'enfant, le frotter ou lui chatouiller le pied, la joue ou l'oreille pour le stimuler sont des pratiques elles aussi répandues, mais nuisant au contraire à sa stabilité motrice et végétative [2], à sa thermorégulation et donc à son éveil, son efficacité au sein et sa prise de poids.

Une tétée toutes les trois heures

De nombreuses personnes issues du domaine de la santé ou de la petite enfance clament encore qu'il "faut donner la tétée toutes les trois heures". Les horaires fixes de tétées, une limitation de leur durée ou une durée imposée entre celles-ci sont pourtant des pratiques inadaptées à la physiologie du nouveau-né et celle de la lactation. En effet, le petit humain est biologiquement programmé pour être porté contre sa mère et allaité très fréquemment, « aux signaux d'éveil » [3] (mouvements de bouche, de tête, de langue, poings à la bouche, etc.), sans attendre les pleurs. Au fil du temps, les tétées peuvent s'espacer naturellement.

Avec de telles consignes – plus que conseils – les parents se retrouvent donc à faire (difficilement !) patienter leur nouveau-né, limitant ainsi sa prise de poids, ou au contraire à réveiller leur bébé qui dort alors même que sa prise pondérale est correcte.

Une des variantes de ce discours est d'espacer les tétées "pour que le bébé ait davantage faim", dans un contexte de prise de poids lente, d'endormissement rapide au sein, ou de tétées jugées trop fréquentes. Or, pour chacune de ces raisons, espacer les tétées est contre-productif. Plus le bébé tète souvent et efficacement, plus il a de l'énergie pour téter, plus il prend du poids. Il convient donc d'optimiser le transfert de lait (efficacité de la succion, production lactée).

Autre variante, espacer les tétées "pour mettre le système digestif au repos" ou encore "pour limiter les reflux ou les coliques". Pourtant, une des mesures de soulagement du reflux est justement le fractionnement de l'alimentation [4], et la tétée soulage les douleurs ou inconforts digestifs bas. Un fort débit de lait peut donner des symptômes de reflux chez le bébé : la gestion de ce flot de lait représente un levier plus adapté que l'espacement des tétées, qui au contraire l'intensifie. De plus, un bébé qui a très faim aura tendance à téter plus intensément, buvant rapidement, ce qui majore le reflux comme les coliques.

Aussi, il est nécessaire de rappeler que ces tétées "fréquentes" peuvent avoir divers intérêts : étancher la soif ou apaiser la faim, mais aussi réconforter ou apaiser, détendre, amener au sommeil, calmer une douleur, soutenir le système immunitaire, etc.

Un lait pas ou plus assez nourrissant

Le lait humain n'a aucune date de péremption. Si l'on entend encore "mais ton lait, à son âge, ce n'est plus que de l'eau !" ou bien "votre lait n'est pas assez nourrissant, c'est pour cela que votre bébé ne prend pas assez de poids", ces affirmations n'ont aucun fondement physiologique.

Tout au long de la lactation, le lait maternel contient les éléments nutritifs adaptés à l'enfant et sa consommation. Au contraire de l'idée reçue, plus ce dernier grandit, plus le lait est concentré en certains éléments essentiels. Quant aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la durée de l'allaitement (à savoir six mois exclusivement et poursuite avec la diversification alimentaire jusqu'à 2 ans ou plus [5]), elles ne concernent pas "que les pays en voie de développement", "n'ayant pas accès au lait artificiel ou à des conditions d'hygiène acceptables", mais bien tout le monde. Sevrer avant 2 ans (ou ne pas allaiter du tout) est et doit rester une totale liberté pour les mères, ne devant en aucun cas être remise en question. De la même façon, l'allaitement non écourté doit être une liberté exempte des idées reçues concernant la qualité du lait ou des opinions personnelles variées sur la durée idéale d'un allaitement.

Lorsqu'un nourrisson allaité présente une prise de poids insuffisante, c'est au volume de lait ingéré qu'il faut s'intéresser, et donc à l'efficacité du transfert de lait, au volume de lait produit, à la conduite de l'allaitement, etc., et non aux qualités nutritionnelles du lait [1]. Une vigilance sera aussi apportée aux dépenses caloriques du nouveau-né.

Vade retro, tétine et biberon

Question épineuse s'il en est que celle des tétines et biberons chez les bébés allaités. On entend ou lit facilement que "Pour allaiter longtemps, mieux vaut introduire le biberon ou la tétine après 6 semaines".

Cette croyance s'ancre dans la réalité physiologique de la période de calibrage de la lactation, au cours des six premières semaines du post-partum. En proposant de façon régulière un biberon de préparation pour nourrisson sans compenser par un recueil du lait, le risque est celui d'un calibrage à la baisse et d'une insuffisance secondaire de lait. L'usage de la tétine espace également les tétées, ce qui peut provoquer les mêmes effets sur la lactation mais aussi impacter négativement la prise de poids de l'enfant, en particulier en période néonatale.

Il existe « une association statistiquement négative entre usage de tétines ou sucettes et durée de l'allaitement » [3]. Reprenant la formulation de l'idée reçue, finalement, pour allaiter longtemps, mieux vaut éviter la tétine et le biberon. Toutefois, si le choix est fait de les introduire, il est plus prudent de le faire après les 6 semaines du nourrisson. Quel que soit son âge, il convient de prendre des précautions sur le volume et le débit du biberon, et de présenter la tétine après avoir proposé de téter.

Autour de la santé de l'enfant

La "supériorité" scientifiquement convenue du lait maternel pour le développement et la santé de l'enfant est en elle-même une formulation bancale. En effet, être nourri du lait de sa mère est pour un nouveau-né la norme biologique. L'allaitement maternel n'est ainsi pas "meilleur", "supérieur" ou "bénéfique", c'est plutôt l'absence d'allaitement qui se présente comme un facteur de risque à plusieurs égards.

Un âge gestationnel minimal pour téter

Cette représentation erronée de la norme biologique conduit à des pratiques néfastes, comme le fait d'exiger d'un nouveau-né prématuré d'être capable de boire un biberon avant de prendre le sein de sa mère. Pourtant, l'enfant né prématurément conserve des paramètres vitaux plus stables au sein qu'au biberon [6, 7, 8]. Ainsi, lorsque l'allaitement au sein est souhaité par la famille, il est plus adapté de réaliser une transition sonde-sein directement, sans passer par le biberon.

De même, aucun âge gestationnel minimal ne doit être requis pour proposer une première tétée. Ce sont la stabilité physiologique et le comportement de l'enfant qui dictent les premiers "peau à sein", puis les premières succions, les premières tétées nutritives.

Une surveillance comme les autres

Le jugement – positif ou négatif – hâtif sur la croissance pondérale du nourrisson allaité est fréquent, avec des répercussions importantes sur la conduite de l'allaitement (espacement des tétées, introduction de compléments, voire sevrage). Pourtant, avant de se prononcer sur le sujet, il est impératif de se référer aux standards corrects que sont ceux établis par l'OMS [9]. En aucun cas, on ne peut rassurer ou inquiéter des parents avant de tracer une courbe adéquate.

Autre grand sujet de surveillance de l'enfant allaité, les selles. Il est important de connaître le phénomène des "selles rares du bébé allaité" [10], quand l'enfant ne fait une selle que tous les trois, cinq, parfois même dix jours. Contrairement à ce qui peut être pensé, il ne s'agit pas de constipation, mais bien d'une diminution du nombre de selles, dans le cadre d'une croissance et d'un développement tout à fait adaptés. Il n'y a donc aucune indication à l'usage de laxatifs, de suppositoires ou lavements. Une vigilance particulière s'impose : les selles rares ne se manifestent physiologiquement qu'à partir de l'âge de 1 mois environ. Chez les nouveau-nés, tout ralentissement du transit doit faire l'objet d'une évaluation de l'efficacité du transfert de lait et du nombre de tétées.

Davantage de réveils nocturnes

Dans la population générale comme auprès des équipes de soins ou de l'enfance, l'idée que le sommeil est plus difficile chez les bébés allaités est fréquente. On peut ainsi entendre, en établissement d'accueil du jeune enfant, "elle dort peu en journée, mais bon, elle est toujours allaitée aussi…" ou bien un personnel soignant affirmer que "si votre bébé se réveille la nuit à 6 mois, c'est parce que vous l'allaitez encore". Pourtant, selon diverses études, « les différences dans la durée de sommeil des bébés allaités et des bébés nourris avec des préparations commerciales pour nourrissons (PCN) sont relativement faibles » [11] : pas d'impact de l'alimentation sur le nombre de réveils nocturnes chez une cohorte de nourrissons de 6 à 12 mois en 2015 [12], durée de sommeil équivalente entre nourrissons de 4 à 18 semaines allaités ou non [13].

Des substituts toujours plus performants

"Oh, le lait artificiel, de nos jours, c'est presque comme le lait maternel !"

Le lait humain est une substance vivante, dont la composition varie en cours de lactation, au cours de la journée, dont le goût change en fonction de l'alimentation de la mère, etc. Il est notamment riche en anticorps, enzymes, facteurs de croissance, hormones, pré- et probiotiques qu'on ne peut retrouver dans une préparation industrielle ultratransformée, la plupart du temps lyophilisée… Les PCN sont de plus en plus performantes, certes, sans toutefois égaler la composition du lait humain, en particulier sur ces aspects vivants et adaptatifs. De plus, l'efficacité nutritionnelle de ce dernier ne dépend pas que de sa composition en nutriments, mais aussi de leur biodisponibilité plus importante.

Il arrive que certains parents aient la croyance que le "lait maternisé" est fabriqué à partir de lait maternel. On peut ainsi aisément comprendre pour quelles raisons cette appellation est interdite commercialement parlant [14], et devrait être bannie du vocabulaire professionnel.

Si les laboratoires ont réalisé d'indéniables progrès sur la composition des substituts du lait maternel depuis leur création, ils sont particulièrement performants en marketing. N'oublions pas que leur objectif premier est la vente et la fidélisation des clients [15, 16].

Autour de la santé de la mère

Pour une personne allaitante, trouver du soutien peut s'avérer un parcours du combattant, que ce soit pour poursuivre son projet d'allaitement ou pour prendre soin de sa santé.

Douleurs initiales

De nombreuses femmes éprouvant des douleurs lors de la mise au sein ont entendu : "Allaiter, ça fait mal au début, c'est normal". Pourtant, allaiter ne doit pas faire mal. Une sensibilité des mamelons peut être présente les premiers jours, s'estompant ensuite. En cas de douleur, un ou plusieurs points sont à améliorer sans attendre [17], en particulier la position du couple mère-bébé (position globale, prise du sein en bouche, etc.), mais aussi le rythme des tétées. Les crevasses ne sont pas une fatalité, et toujours un signe que la succion n'est pas optimale (ou l'usage du tire-lait non ajusté).

Une morphologie propice

L'idée que des petits seins ne permettraient pas de mener un allaitement exclusif est encore répandue. Pourtant, la capacité à produire du lait n'est pas liée à la taille des seins, davantage fonction du volume du tissu adipeux que du tissu glandulaire. De même, la capacité de stockage (le volume maximal disponible) n'est pas proportionnelle au volume visible du sein. Ainsi, une femme ayant une petite poitrine peut avoir une capacité de stockage plus importante qu'une femme à la poitrine plus forte.

Les variations anatomiques comme des seins dits tubéreux ne présument pas non plus de la fonction lactationnelle. À l'inverse, le tissu adipeux peut couvrir une hypotrophie mammaire, qui ne se verra donc pas aisément, notamment en cas d'obésité.

"Avec votre peau très claire, vous allez avoir mal". Cette idée, sans aucun fondement, est encore répandue et transmise auprès de femmes blanches à la peau claire. Le risque est d'une part de décourager les futures mères concernées d'initier un allaitement, d'autre part de ne pas offrir le soutien adéquat à celles qui font le choix d'allaiter et éprouvent des douleurs aux mamelons, leur carnation étant alors pointée comme responsable de celles-ci.

Ces représentations sur la morphologie "idéale", voire "nécessaire", pour allaiter recouvrent de façon encore plus prégnante la forme des mamelons. Ainsi, les mères ayant une forme de mamelon plate ou peu érectile ont souvent bien vite recours, sur conseil des professionnelles, de leur entourage ou par croyance personnelle, à des écrans silicone ("bouts de sein") afin d'aider leur bébé à "s'accrocher" au sein et à téter. Pourtant, lorsque le nouveau-né est né à terme, tonique et en bonne santé, un mamelon plat ne représente pas une difficulté pour la prise en bouche et la succion. Avant de dégainer l'écran silicone, il convient donc d'observer, et d'accompagner si nécessaire (et toujours de façon individualisée) la famille.

La faute de l'allaitement

L'ensemble des maux dont peut souffrir une mère qui allaite est fréquemment mis sur le compte de l'allaitement. Ainsi, une problématique dermatologique sur le sein sera diagnostiquée avec retard, imputée prioritairement au statut lactant du sein, sans raison. Une femme allaitante témoignant de sa fatigue se verra simplement conseiller de sevrer, sans prise en considération de l'ensemble de son écosystème. Pourtant, c'est bien le fait de s'occuper nuit et jour d'un nouveau-né ou d'un nourrisson qui fatigue, pas l'allaitement. Les hormones produites au cours de la lactation favorisent la détente et le sommeil (on s'endort rapidement, en sommeil profond, après une tétée), mais aussi la récupération.

Il arrive également que des soins soient refusés aux mères allaitantes. Il est ainsi fréquent qu'il leur soit demandé de sevrer pour être soignée, alors que de nombreuses alternatives thérapeutiques sont compatibles avec la poursuite de l'allaitement, en toute sécurité pour l'enfant. Le Centre de référence sur les agents tératogènes [18] est une des ressources essentielles dans la prise en soins des femmes en cours de grossesse ou d'allaitement.

Une fertilité nulle

La méconnaissance globale du cycle menstruel, et en particulier de la reprise de fertilité après une grossesse est le lit de convictions comme "si j'allaite, je ne peux pas être enceinte". Sous cette croyance erronée existe le risque d'une grossesse non désirée, mais aussi de sevrage dans l'unique objectif d'une grossesse.

En réalité, l'allaitement peut être utilisé comme moyen contraceptif fiable si et seulement si certaines conditions sont réunies – c'est la méthode de l'allaitement maternel et de l'aménorrhée : l'allaitement doit être exclusif, jour et nuit, à hauteur de six à dix tétées par 24 heures (pas plus de six heures entre deux tétées la nuit, pas plus de quatre heures le jour), et l'aménorrhée du post-partum doit persister absolument (absence totale de règles) [19]. Dès que l'un des critères n'est plus assuré ou après les six premiers mois suivant la naissance, un autre moyen contraceptif doit être envisagé.

De même, le taux basal de prolactine revenant à la normale environ trois mois après l'accouchement [20], le simple fait d'allaiter ne devrait pas constituer un obstacle à la fertilité.

Autour de la vie quotidienne, sociale et familiale

Le choix de l'allaitement, de ses modalités et de sa durée est guidé par les représentations sociales – et sociétales – de ce qu'il est ou devrait être, de ses conséquences sur la vie quotidienne des parents et de la famille.

Rester chez soi

La croyance qu'"allaiter oblige à rester chez soi avec bébé" peut inciter des femmes à faire le choix de ne pas allaiter, de sevrer précocement, ou encore à s'isoler – avec les risques que cela comporte sur leur santé mentale.

Allaiter hors de chez soi est bien sûr possible, et constitue même un droit fondamental. Fiona Lazaar, députée, a même proposé en 2021 la création d'un délit d'entrave à l'allaitement [21]. Il convient de porter une attention particulière au vocabulaire employé. Mises à part quelques célébrités ou actions collectives de mères, les femmes n'allaitent pas "en public", mais bien "dans un lieu public", ou "partout". Elles ne cherchent pas l'attention d'un public quelconque, simplement à subvenir aux besoins de leur enfant, si possible dans l'indifférence générale.

Comme les autres, les mères allaitantes peuvent sortir sans leur enfant, que ce soit pour le loisir ou le travail. Elles peuvent alors choisir de s'absenter entre les tétées, de tirer leur lait – ponctuellement ou régulièrement – pour qu'une autre personne le donne à l'enfant, d'introduire des PCN en leur absence en poursuivant les tétées à la demande le reste du temps. Le panel des possibilités est large.

Difficulté pour le coparent pour trouver sa place

La crainte que la ou le partenaire ait "du mal à trouver sa place avec le bébé" en cas d'allaitement au sein est très prégnante. Pourtant, le parent non allaitant a devant lui tout un éventail de rôles à jouer dans la mise en œuvre de sa relation d'attachement avec son bébé, mais également dans le soutien à sa compagne. Nourrir l'enfant est un des rôles parentaux possible, mais il n'est pas indispensable. Des séances de peau à peau, les soins de confort et d'hygiène, les massages, des moments de portage (à bras ou en écharpe), des bercements, des chansons, des histoires, l'accompagnement au sommeil, des jeux d'éveil, etc., sont autant de temps précieux à partager avec un tout-petit. Et puis, être parents ensemble, c'est aussi favoriser la récupération et le bien-être de la mère (facilitant par la même occasion l'allaitement et le bien-être de l'enfant), la soutenir dans ses choix, la protéger des conseils malavisés et critiques infondées, etc.

Ces cultures où l'allaitement est "inné"

Le personnel soignant français peut être pétri de représentations autour des cultures étrangères, et de la place de l'allaitement ou d'autres pratiques de maternage dans celles-ci. Les femmes migrantes ou racisées sont ainsi souvent prises en soins différemment des femmes blanches ou perçues comme de culture française. Alexandra Nacu a relevé en 2011 les représentations des équipes de trois maternités franciliennes sur les pratiques médicales des femmes migrantes : « Tous les entretiens avec des professionnels de santé pointent la plus grande facilité de certains groupes, avec une insistance sur les "Africaines" » [22]. Les sages-femmes interrogées avaient aussi d'autres idées reçues d'explications culturalistes, comme celle que les femmes "asiatiques" pratiquent l'allaitement mixte. « Ces représentations justifient, chez certaines professionnelles de l'allaitement, que la femme reçoive des conseils différents. » [23] Le risque de ces préjugés est que certaines femmes soient moins ou moins bien accompagnées, informées, soutenues, puisque "c'est inné chez elles", ou au contraire pressurisées pour allaiter parce que "c'est normal pour elles" (sous-entendu, plus que pour les blanches). « Dans tous les cas, les femmes blanches […] seraient, selon les discours des professionnelles, plus encadrées, plus soutenues, dans leurs pratiques d'allaitement. » [23]

L'acculturation occidentale peut aussi influencer des choix de maternage. L'alimentation au biberon de préparations commerciales pour nourrisson peut représenter un signe d'insertion, voire de progression sociale pour certaines familles migrantes : « en plus des raisons économiques qui les obligent à retourner rapidement sur le marché du travail, ces femmes mentionnent choisir l'utilisation du biberon afin de s'adapter aux pratiques de la société d'accueil » [23].

Féminisme et allaitement ne font pas bon ménage

Les héritières du féminisme d'après-guerre, souhaitant se libérer de l'aliénation que représente pour elles la maternité, arguent que l'allaitement en est la continuité, asservissant la femme à l'enfant, la clouant au foyer [24]. Une autre mouvance, plus écoféministe, honore la singulière puissance du corps féminin et sa capacité à créer et à faire grandir la vie. Ces deux facettes ont en commun l'un des fondements de la défense des droits des femmes, celui de disposer de leur corps. La décision d'allaiter un enfant à naître ou de poursuivre un allaitement en cours n'est pas qu'un simple choix alimentaire. C'est une décision touchant au corps maternel, aux outils de maternage et de parentalité, revenant de droit à la seule personne concernée. Le soutien de l'entourage est précieux, autant que la protection contre l'ensemble des idées reçues et du marketing incisif des lobbies du lait infantile.

Dès lors, qu'une personne devienne parent ou non, qu'elle allaite ou non, tant que ce choix est individuel et éclairé, il ne peut être que féministe.

En matière de santé publique, le défi se situe donc dans la délivrance d'une information loyale, claire et complète.

Conclusion

Bien plus qu'une simple méthode d'alimentation, l'allaitement maternel est un comportement social et physiologique, tant pour la mère que pour l'enfant. Pourtant, il reste trop souvent entravé par des idées préconçues tenaces et des discours obsolètes. Pour faire de l'allaitement un choix libre et éclairé, une expérience épanouissante et respectée, il est primordial de déconstruire ces mythes tout en prenant en considération la dimension culturelle, et même multiculturelle, du soin prodigué aux nourrissons et aux jeunes mères.

Notes

1  Le féminin générique sera employé tout au long de l'article

2 Article basé sur des idées reçues circulant notamment en France métropolitaine, auprès des professionnel⋅les de santé et des populations principalement blanches. Lors de sa lecture, il est important de garder en tête ce prisme restrictif, malgré la volonté d'inclusivité de l'autrice.

2 Ou de la personne allaitant l'enfant.


Références

[1] Gremmo-Féger G. Allaitement maternel. La physiologie au service de pratiques optimales Doss Obstet 2011 ; 9-12

[2] Als H., McAnulty G.B. The Newborn Individualized Developmental Care and Assessment Program (NIDCAP) with Kangaroo Mother Care (KMC): Comprehensive Care for Preterm Infants Curr Womens Health Rev 2011 ; 7 (3) : 288-301 

[3] Gremmo-Féger G. Comment bien démarrer l'allaitement maternel ? 34e journée de médecine périnatale de France Comté. 15 mars 2006. 

[4] Haute Autorité de santé. Recommander les bonnes pratiques. Reflux gastro-œsophagien chez l'enfant de moins d'un an : définitions, prise en charge et pertinence des traitements pharmacologiques. 29 février 2024. 

[5] Organisation mondiale de la santé. Stratégie mondiale pour l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Durée optimale de l'alimentation au sein exclusive. 54e assemblée mondiale de la santé. Mai 2001. 

[6] Meier PP. Coordination de la succion et de la respiration pendant la tétée au sein et la prise du biberon chez des prématurés. Troisième journée de l'allaitement. Les dossiers de l'allaitement hors-série mars 97:3-7.

[7] Blaymore Bier J.A., Ferguson A.E., Morales Y., et al. Breastfeeding infants who were extremely low birth weight Pediatrics 1997 ; 100 (6) : E3

[8] Chen C.H., Wang T.M., Chang H.M., Chi C.S. The effect of breast- and bottle-feeding on oxygen saturation and body temperature in preterm infants J Hum Lact 2000 ; 16 (1) : 21-27 

[9] World Health Organization. Weight-for-age. 

[10] Courdent M., Beghin L., Akré J., Turck D. Infrequent stools in exclusively breastfed infants Breastfeed Med 2014 ; 9 (9) : 442-445

[11] Plas C. Le sommeil du bébé allaité la première année de vie. Cah Pueric 2028;62(387):15-18.

[12] Brown A., Harries V. Infant sleep and night feeding patterns during later infancy: association with breastfeeding frequency, daytime complementary food intake, and infant weight Breastfeed Med 2015 ; 10 (5) : 246-252 

[13] Rudzik A.E.F., Robinson-Smith L., Ball H.L. Discrepancies in maternal reports of infant sleep vs actigraphy by mode of feeding Sleep Med 2018 ; 49 : 90-98 

[14] Organisation mondiale de la santé. Code international de commercialisation des substituts du lait maternel. 1981. 

[15] Organisation mondiale de la santé. Mettre un terme aux formes inappropriées de promotion des aliments destinés aux nourrissons et aux jeunes enfants. 69e assemblée mondiale de la santé. 28 mai 2016.

[16] Tribune. Stop au lobbying des industriels de laits infantiles ! La revue du praticien. Mars 2024. tribune-stop-au-lobbying-des-industriels-de-laits-infantiles.

[17] Ledon E. Accompagner les débuts de l'allaitement maternel Cah Pueric 2025 ; 385 : 47-48

[18] Centre de référence sur les agents tératogènes. Hôpital Pitié-Salpétrière. 

[19] Haute Autorité de santé. Recommander les bonnes pratiques. Contraception chez la femme en post-partum. 24 avril 2013. 

[20] Freeman M.E., Kanyicska B., Lerant A., Nagy G. Prolactin: structure, function, and regulation of secretion Physiol Rev 2000 ; 80 (4) : 1523-1631 

[21] Lazaar F. Proposition de loi portant création d'un délit d'entrave à l'allaitement, n° 4258, déposée le mardi. 15 juin 2021. 

[22] Nacu A. À quoi sert le culturalisme ? Pratiques médicales et catégorisations des femmes "migrantes" dans trois maternités franciliennes Sociol Trav 2011 ; 53 (1) : 109-130 

[23] Vallières A. Entre aspirations et contraintes : analyses du vécu de l'allaitement maternel chez les primipares au prisme des inégalités sociales [Thèse de doctorat, sociologie]. Université de Montréal. Octobre 2020. 

[24] Salvetti-Lionne AF. Mes seins, mon choix ! Pourquoi l'allaitement divise les féministes ? Éditions Eyrolles; 2022. 


Citer :
Ledon E. Ces idées reçues qui empoisonnent l'allaitement. Cahiers de la puéricultrice 2025 ; 389 : 24-29

© 2021 Estelle Ledon, 25660 Mérey-sous-Montrond
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